Ce billet est le premier d’une série consacrée au projet GOCO₂, projet de décarbonation d’industries polluantes mené par trois groupes industriels (Lhoist, Lafarge et Heidelberg), dans les régions Pays de la Loire, Nouvelle-Aquitaine et Bretagne.
Du 29 septembre et jusqu’au 19 décembre a lieu la consultation publique sur le projet. C’est donc le bon moment pour lancer cette série d’articles et présenter les enjeux majeurs du projet.
Le contexte
Vous en avez déjà peut-être entendu parlé, ce projet vise à capter le CO₂ des industries lourdes (deux cimenteries et une usine de chaux) en Mayenne (53) et dans les Deux-Sèvres (79) puis à le transporter via des canalisations sur 375 km.
Les canalisations traverseront cinq départements (Deux-Sèvres, Maine-et-Loire, Mayenne, Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique) et iront jusqu’à Montoir-de-Bretagne (44). Là-bas, le CO₂ sera soit utilisé pour la production de carburants “verts” soit envoyé en Mer du Nord pour être stocké à plusieurs milliers de mètres sous terre.
Je défends bien évidemment la politique de neutralité carbone. Toutefois, ce projet, porté par des grands groupes industriels, soulève un bon nombre d’interrogations, par rapport à son coût, son efficacité, ses risques sanitaires et environnementaux, sa pérennité, la philosophie même d’aller jeter nos déchets dans la mer. Ce projet est un cas d’école de ce que certains appellent techno-solutionnisme, qui consiste à penser que la technologie constitue LA solution à la crise environnementale.
La question épineuse du financement
La technologie a toujours un coût. Dans le cas de GOCO₂, il est faramineux : 2,8 Mds d’euros, avec un budget qui a déjà été réévalué plusieurs fois et une répartition des coûts encore floue. Les industriels évoquent un financement à 2/3 privé et 1/3 public, tandis que NaTran parle d’une répartition 50/50.
D’ailleurs, comme le souligne ce rapport de l’université d’Oxford, en quarante ans, les coûts des techniques de captage et séquestration du carbone (CCS) et captage, séquestration et utilisation de carbone (CCUS) n’ont pas baissé.
À titre de comparaison, le parc éolien offshore îles d’Yeu et de Noirmoutier, dont la production annuelle permet d’alimenter 800 000 personnes en électricité (soit l’équivalent de la population vendéenne) a coûté 2.5 Mds d’euros, entretien et maintenance compris.
Le mythe technologique de la politique de neutralité carbone
Les techniques de captage et séquestration du carbone (CCS) et captage, séquestration et utilisation de carbone (CCUS) sont souvent présentées comme des solutions miracles de décarbonation, mais elles relèvent davantage du pari technologique que d’une véritable stratégie climatique. Cette vidéo de la chaîne Arte en souligne très bien les limites.
En comparaison des coûts mobilisés, les volumes de CO₂ captés sont extrêmement modestes. À l’échelle mondiale, depuis les années 90, 83 milliards d’euros ont été investis dans le développement des techniques CCS/CCUS pour un résultat quasi symbolique de seulement 52 Mt de CO₂ stocké. Pire encore, 78% des projets de CCS ayant pour ambition de capter plus de 0.3 Mt CO2/an ont été soit abandonnés ou mis en veille, alors que les fonds publics, eux, ont bel et bien profité aux industries fossiles (NB : GOCO₂ viserait 2.2 MtCO₂/an). On parle donc d’une technologie qui reste largement expérimentale, malgré quatre décennies d’investissement.
De plus, investir 2.8 Mds d’euros aujourd’hui revient à parier sur la poursuite dans les prochaines décennies de l’activité des secteurs les plus émetteurs – et à les subventionner – plutôt qu’à favoriser la sobriété et l’efficacité énergétique. Autrement dit, à l’échelle globale, on entretient le problème au lieu de le résoudre.
L’ADEME souligne d’ailleurs que le CCUS est, parmi les technologies de décarbonation, celle impliquant la consommation d’énergie la plus importante, que son coût de fonctionnement est sujet à augmentation et signale que cette technologie ne doit être utilisée qu’en dernier recours.
L’enjeu actuel : la consultation publique
En ce moment a lieu la consultation publique, menée par la Commission nationale du débat public, des réunions publiques ont eu lieu, et de nombreux replays sont disponibles sur YouTube.
Chacun.e peut poser ses questions et émettre son avis sur le projet GOCO₂ sur le site de la consultation publique avant le 19 décembre (ici). Suite à la consultation publique, les garants de la concertation publieront un rapport dans les deux mois qui suivent (afin de dresser un bilan, rapporter les questions posées, les arguments etc). Le projet entrera une concertation continue, de nouvelles études et enquêtes publiques seront menées.
La décision d’investissement sur le projet sera rendue en 2028 et la mise en route, si le projet est retenu, est annoncée pour 2031.
Les prochains billets évoqueront les solutions alternatives de décarbonation, le projet plus large de développement du port de Nantes-Saint-Nazaire dans lequel s’inscrit GOCO₂, ainsi que le développement des projets de CCS et CCUS en France et les interrogations quant à leur efficacité, le financement public, les risques sanitaires, l’impact sur la biodiversité et l’environnement, les compensations pour les riverain.es affecté.e.s par les canalisations.
À suivre !