“Alors, c’est comment d’être une femme en politique ?” J’ai souvent rechigné à répondre à cette question. Je ne voyais pas le caractère exceptionnel de cette situation. Ne vivons-nous pas au XXIe siècle ? Les femmes ne sont-elles pas considérées aujourd’hui comme égales à l’homme ? Ne sommes-nous pas arrivés au point où le combat pour l’égalité a été gagné ? J’ai également pensé qu’il n’est plus important de se battre en tant que femme pour notre condition de femme, car cela justement pouvait nous ramener à un statut inférieur. Avant de prendre conscience qu’il faut remettre ce thème au cœur du débat public…
Je me suis souvent dit que j’avais eu de la chance de naître à mon époque, où en tant que fille je pouvais faire ce que je voulais, au même titre que les garçons. J’ai écouté les récits de ma grand-mère, de ma mère qui en France ne pouvait pas avoir légalement recours à l’avortement. Ne pas avoir le droit de disposer de son propre corps… Cela me semblait si loin, inimaginable.
J’ai choisi ma voie sans me sentir inférieure aux hommes
Dans ma construction personnelle, j’ai appris l’indépendance. A Noël, je suis retombée par exemple sur un livre dans la bibliothèque familiale que ma mère nous lisait, à mon frère et à moi. “Histoire de sandwiches », d’Adela Turin et Margherita Saccaro. Un livre pour enfants sur l’invisibilité des femmes. Un village minuscule de femmes et de filles qui fabriquent des sandwiches pour les hommes qui travaillent dans la grande ville. Un jour, Ita se cache dans un sandwich et découvre alors le monde des hommes. De retour dans son petit village, son récit entraîne une révolution auprès des femmes et c’est alors que le village minuscule et invisible se met à grandir, à grandir…
Cela m’a ramené à nos trajets quotidiens à vélo pour aller à l’école avec ma mère, qui me martelait de ne jamais être dépendante d’un homme, d’avoir mon propre travail, de vivre pour moi. Un souvenir additionné à la puissante figure qu’était mon arrière grand-mère “Manou”. Première femme à jouer dans un groupe de jazz, saxophoniste au Moulin Rouge auprès de Mistinguett, c’est elle qui a pourvu à la famille par son travail d’artiste. Une situation, je le vois bien aujourd’hui, totalement exceptionnelle pour l’époque. Je suis fière de provenir de cette famille là, de femmes ancrées, déterminées.
C’est ainsi que j’ai choisi ma voie, sans me sentir inférieure ou moins légitime que les hommes à porter une parole publique, et à m’engager à changer les choses. Ce n’est sûrement pas un hasard si je suis rentrée en politique grâce à la rencontre avec une femme, Dominique Voynet, qui a contribué au Sénat à faire modifier la définition de sénatrice qui à l’époque était consignée comme l’épouse du sénateur…
Ma découverte de la politique est passée par le parti des Verts qui avait non seulement porté des femmes comme Dominique Voynet au pouvoir en tant que ministre, mais qui dans ses statuts – bien avant que cela soit entériné par la loi – portait l’égalité femme/homme comme une valeur fondamentale.
Le procès en légitimité des femmes
C’est peut-être ce matrimoine-là qui m’a fait serrer les dents dans la vie rugueuse que mènent toujours les femmes en politique, même au XXIème siècle. La politique n’est-elle pas une histoire de conviction mais aussi de pouvoir, où il faut avoir l’air forte, ne pas montrer ses faiblesses ? J’ai expérimenté et vécu tout ce que l’on peut vivre comme fille/femme dans ce monde-là. Le “elle a dû coucher pour en arriver là”, les remarques déplacées par des hommes qui pourraient être votre père. Les questions de collègues espagnols au parlement européen – “tu es l’assistante de qui ?” –, alors que je venais parler à la Commission européenne de l’adaptation au réchauffement climatique en tant que vice-présidente de la métropole de Nantes.
Ce procès en légitimité, nous le vivons toutes quotidiennement. Devoir travailler plus pour être et apparaître comme pleinement légitime dans nos fonctions, est totalement intégré dans notre logiciel de femme.
Pendant très (trop) longtemps, cela m’a paru “normal”. En tant que femme, certes j’étais libre de faire ce que je voulais, mais pour cela je devais me battre plus que les garçons, pour être reconnue comme égale, compétente, légitime.
Une autre lecture de mon histoire, de notre histoire
Et puis l’affaire Baupin, le mouvement #MeToo politique, des écrits comme ceux de Titiou Lecoq sur “Les grandes Oubliées – Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes”, ou encore les podcasts de Victoire Tuaillon comme Le Coeur sur la table et Les Couilles sur la table, ont contribué à m’en donner une autre lecture. C’est ça la fameuse déconstruction. Relire les évènements, ce que l’on a vécu avec d’autres lunettes. Ce n’est pas facile, ça bouscule, mais c’est tellement essentiel !
Tous ces récits sont absolument fondamentaux pour notre société. Pour ne plus courber l’échine en pensant que ça va passer, pour réaliser que nous ne sommes pas seules, pour montrer au monde à quel point nous sommes fortes. Il est primordial de pouvoir continuer à s’indigner, de nommer l’innommable et de le punir, et de ne plus accepter ce qui n’est pas acceptable. Non, clairement, le combat féministe n’est pas révolu.
Au fil de ma carrière politique, ma voix, mes propos politiques ont souvent été repoussés d’un revers de la main par mes homologues masculins, non sur le fond mais en me ramenant à ma condition de femme.
Le 28 juin 2019, en conseil métropolitain par exemple où j’interviens pour mon groupe politique, pour expliquer pourquoi nous voterons contre un contournement routier d’un bourg à 30 millions d’euros, que d’autres solutions existent et que l’époque du tout-voiture à l’ère du réchauffement climatique n’est pas responsable. La réponse du maire concerné par le projet a été simple : “ Madame Laernoes, vous ne faites tellement pas envie avec vos propos… Vous savez, si vous voulez gagner une élection…”
Une nouvelle époque s’ouvre
Alors oui, ce n’est pas facile d’ouvrir ce chapitre qui montre une facette bien malade de notre société, qui renverse des comportements jugés normaux, acceptables, habituels, sympathiques même… Mais il est tellement essentiel de le faire, et l’époque qui s’ouvre est propice à cela. La candidature de Sandrine Rousseau à la primaire des écologistes a été salvatrice de ce point de vue-là : reposer ce débat occulté au cœur du débat public.
Pourquoi est-ce si important? Parce que des inégalités importantes persistent, évidemment à Nantes aussi, entre les femmes et les hommes. Parce que cela permet de donner un autre visage à la ville, mais également aux relations sociales. Parce que tout simplement la voix des femmes est absolument essentielle pour nourrir et porter des combats et des politiques publiques efficaces et qui font sens. Et c’est pour cela qu’il est absolument fondamental que nos voix pèsent autant que celles des hommes dans le débat politique dans lequel je suis engagée. Et pas seulement en politique…