Publiée par le JDD le 8 août 2019
« Nantes, le 21 juin. Une fête. Et un homme est mort. Le 29 juillet, plus d’un mois après ce soir tragique, le corps de Steve Maia Caniço était retrouvé dans la Loire. Nantes encore, le 3 juillet 2018. Lors d’un contrôle d’identité, Aboubakar Fofana, 22 ans, perdait la vie. Après avoir évoqué un temps la « légitime défense », le policier auteur du coup de feu mortel plaide aujourd’hui un « tir accidentel ».
La volonté du gouvernement de minimiser, à chaque épisode tragique, la portée des violences est un aveu désarmant d’irresponsabilité
D’autres villes ont été ces derniers mois le théâtre de violences policières. Violences? Une disproportion manifeste des moyens d’intervention, un usage de la force surpassant nettement les dimensions de la menace. La responsabilité n’est pas celle des policiers sur le terrain, soumis à des cadences de plus en plus épuisantes. Sauf exception, ils se conforment aux ordres de leur hiérarchie, qui n’a cessé ces dernières années de durcir la doctrine française de maintien de l’ordre, déjà plus lourde que celle de nos voisins. Des observateurs étrangers – dont Amnesty International – s’en alarment, constatant que la police française est ‘la plus brutale d’Europe’. La volonté du gouvernement de minimiser, à chaque épisode tragique, la portée des violences est à cet égard un aveu désarmant d’irresponsabilité.
A Nantes, le 21 juin dernier, des jeunes fêtards ont été victimes d’une charge brutale des forces de l’ordre. Motif avancé : le refus d’un DJ de couper l’un des sound systems. Les moyens déployés pour répondre à ce refus disent toute la perte de mesure de l’intervention : en une vingtaine de minutes, 33 grenades lacrymogènes, 12 LBD (ces armes dont le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a demandé l’interdiction dès janvier 2018) et 10 grenades de désencerclement ont été tirées. Qui peut penser qu’une telle débauche de moyens offensifs est une réponse appropriée et proportionnée à des hommes et des femmes ne voulant que danser?
Des investigations complémentaires doivent être engagées pour éclaircir les circonstances du drame
La question est d’autant plus cruciale qu’en juin 2017, dans la même situation, la même hiérarchie policière avait ordonné un ‘repli tactique’ et un maintien ‘à distance’ des effectifs compte tenu des risques propres à la zone. Quelles raisons expliquent qu’à deux années d’intervalle, on constate deux réactions si opposées, l’une de prudence logique et nécessaire, la seconde de durcissement sans objet? Le Premier Ministre, qui a choisi de s’exprimer publiquement sans attendre le résultat de toutes les investigations, n’a donné aucun élément de réponse. Demeurent les faits : ce soir-là, lors de l’intervention policière, 14 personnes sont tombées à l’eau. Un homme n’a pu être secouru. Il est mort.
Le drame aurait pu être évité, aurait dû l’être. Les épisodes tragiques des années précédentes auraient dû inciter à modérer l’emploi de la force. Des syndicalistes policiers s’inquiètent d’une situation d’escalade que plus personne ne semble maitriser. Faudra-t-il d’autres tragédies pour qu’ils soient entendus, pour que celles et ceux qui appellent aujourd’hui à réviser profondément les doctrines de maintien de l’ordre soient écoutés? Dans l’immédiat, des investigations complémentaires doivent être engagées pour éclaircir les circonstances du drame. Le Parlement se grandirait à désigner en son sein une commission qui puisse examiner en toute indépendance les faits et en tirer les enseignements impératifs à ce qu’ils ne puissent plus se reproduire.
Ni l’orgueil martial ni les accusations outrancières lancées sur d’autres pour se dédouaner ne peuvent tenir lieu de dignité
Le lien de confiance entre la police et la population dont elle doit assurer la protection est un élément capital du pacte républicain. Les pouvoirs publics doivent mesurer combien ce lien est désormais fragile, et combien un nombre croissant de françaises et de français s’inquiètent de constater que leurs enfants, leurs proches, peuvent devenir les victimes d’une opération qui dérape. Il ne nous appartient pas ici d’indiquer au Ministre de l’Intérieur, premier concerné, quelles conclusions devraient être les siennes devant pareil échec. Il est certain, en revanche, que ni l’orgueil martial ni les accusations outrancières lancées sur d’autres pour se dédouaner ne peuvent tenir lieu de dignité.
Militants écologistes, nous avons vu à Bure et à Notre Dame des Landes, à Sivens et dans les rassemblements pour le climat, comment pouvaient se traduire concrètement les déclarations va-t-en guerre d’un ministre. Nous avons sans réserve condamné les violences, d’où qu’elles viennent. Mais nous n’ignorons pas qu’elles sont plus graves encore lorsqu’elles viennent de la puissance publique, lorsqu’elle choisit de préférer la brutalité et la tension à la sécurité des personnes. À ceux qui, commettant ainsi une très lourde faute, choisiraient de poursuivre dans cette voie, nous opposerons la certitude calme et absolue que rien, jamais, ne justifie qu’un homme puisse perdre la vie lors d’opérations de police supposées garantir sa protection, la protection due à nos enfants, nos proches, nos voisins, à chacune et chacun des citoyens de notre pays. »
Par Julie Laernoes, tête de liste des écologistes et citoyens pour les élections municipales à Nantes, David Cormand, secrétaire national EELV et eurodéputé écologiste, Yannick Jadot, eurodéputé écologiste.