Le 11 octobre dernier, l’Assemblée nationale a créé, sur demande du groupe Les Républicains, une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Cette commission analyse les politiques énergétiques de ces dernières décennies afin d’identifier les causes et les responsabilités de notre situation énergétique actuelle. Elle se concentre ainsi sur la production d’énergie en France, en particulier nucléaire, et sur l’approvisionnement énergétique.
J’ai l’honneur d’être membre et d’avoir été désignée vice-présidente de cette commission d’enquête. À ce titre, depuis le 2 novembre, je participe aux riches et intenses travaux d’investigations de la commission, qui doit publier un rapport dans le courant du mois d’avril 2023. La pertinence et l’importance des travaux de notre commission d’enquête est évidente dans le contexte de la crise que nous traversons, et résonnent avec l’actualité parlementaire ; le texte sur l’accélération des énergies renouvelables vient de s’achever et nous examinerons en mars celui sur l’accélération des procédures liées à la construction des installations nucléaires.
Nous avons d’ores et déjà pu auditionner de nombreux acteurs du nucléaire : le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), EDF, Framatome, Areva… Mais également d’autres énergéticiens comme Total et Engie, de nombreux statisticiens, des instances comme le réseaux de transports d’électricité RTE et l’Ademe, des personnalités comme Jean-Marc Jancovici, ou encore des anciens responsables de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN)…
Deux constats en ressortent : les faiblesses de l’industrie électro-nucléaire française et le sous-investissement dans les énergies renouvelables.
Au cours des auditions, la situation désastreuse du parc nucléaire, avec 32 réacteurs sur 56 à l’arrêt fin août, a été rappelée à de nombreuses reprises, faisant état de problèmes techniques, comme la corrosion sous contrainte, mais aussi du manque d’anticipation des besoins en maintenance par EDF. Aussi, les dirigeants d’EDF se sont succédé pour avouer l’échec industriel, technologique et financier effarant du réacteur EPR de Flamanville, lancé en 2007, et qui n’est toujours pas en service… Pour rappel, l’EPR est un réacteur développé par EDF, qui intègre les retours d’expérience des précédentes centrales et des accidents passés, promettant des niveaux de sûreté plus élevés, et conçu pour durer plus longtemps. Nous sommes aussi revenus sur le déploiement des autres réacteurs EPR dans le monde. Le point commun c’est qu’ils sont tous plombés par des failles techniques, d’importants retards et des coûts faramineux. Angleterre, Finlande, Chine, France : aucun aujourd’hui ne fonctionne correctement, c’est la débâcle totale. La relance annoncée par le Président d’un programme nucléaire basé sur la technologie de l’EPR 2, qui elle-même s’appuie sur l’EPR, est donc une absurdité. Il faut vite stopper cette fuite en avant qui menace gravement notre approvisionnement en énergie. De l’aveu même d’Henri Proglio, ancien patron d’EDF : « l’EPR est un engin trop compliqué, quasi inconstructible, dans lequel EDF s’est lancé simplement parce qu’ils n’avaient que cette technologie sous la main… » En outre, les nombreuses déclarations relatives aux dérives financières, échecs commerciaux internationaux, et aux conflits entre les différents acteurs du nucléaire interrogent quant à la gouvernance de cette filière. Comment avoir confiance en une industrie si mal organisée et dirigée ?
Deuxième constat qui ressort de cette première série d’auditions : le retard accablant de la France en matière d’énergies renouvelables. Alors qu’EDF et Areva réclamaient des évolutions politiques et investissements publics pour maintenir le parc nucléaire et sauver leurs entreprises de la faillite, la filière des renouvelables a été largement délaissée. On ne peut que déplorer que la France ait fait ce choix au détriment d’énergies abordables, autonomes, qui ne nuisent ni aux écosystèmes ni à la santé.
Nous avons aussi décortiqué l’objectif de passer à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique, inscrit dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. François Brottes, ancien président de RTE et ancien député, a rappelé qu’il n’a dans cette loi jamais été question de se passer du nucléaire, mais bien de réduire la prépondérance de cette énergie dans le mix électrique. Et ce, en réponse non pas à des pressions ou orientations politiques mais face à une observation technique : la dominance du mix électrique au nucléaire renforce notre dépendance et nous rend vulnérable, comme le démontre la crise actuelle. La traduction législative de cet objectif s’accompagnait également de gardes-fous pour s’assurer que la réduction de la part du nucléaire ait lieu dans le cadre de la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre : il n’a donc jamais été question dans la loi de rouvrir des centrales à charbon pour pallier aux manques de l’énergie nucléaire. Tous les scénarios considéraient d’ailleurs à l’époque comme tout à fait raisonnable l’objectif de passer à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique français.
Ce n’est donc pas la loi de 2015 qui explique aujourd’hui la défaillance du parc nucléaire français, mais bien tous les défauts de cette filière. Plus que jamais, il est aujourd’hui essentiel d’ouvrir les yeux sur le nucléaire et de constater les faiblesses et manquements de cette technologie et de la gouvernance de l’industrie, mais aussi l’aveuglement politique qui nous conduit aujourd’hui droit dans le mur.