Ainsi s’est achevé, lundi soir à 1h59 en commission, l’examen du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité des sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Il aura fallu 6h de débat en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et pas moins de 17h en commission des affaires économiques.
J’en ressors extrêmement inquiète. Extrêmement inquiète quant au fonctionnement de notre démocratie, et surtout extrêmement inquiète sur le fond. Vous allez me dire qu’en tant qu’écologiste, évidemment je n’allais pas sortir rassurée après l’examen d’un texte sur le nucléaire. Cela dit, ce texte n’était pas supposé être un texte pour ou contre une relance du nucléaire. Présenté comme un texte technique, il devait simplifier notre législation pour la mise en œuvre d’éventuels nouveaux projets de réacteurs nucléaires et la prolongation du parc de réacteurs existant.
Mais alors où décide-t-on d’une relance du nucléaire, allez-vous me dire ? Normalement, dans une loi de programmation sur l’énergie et le climat (autrement appelé LPEC) et dans la programmation pluriannuelle de l’énergie. Car oui, dans le contexte actuel de crise climatique : comment allons-nous infléchir la courbe de nos émissions de gaz à effet de serre pour 2030 ? Et dans celui de la guerre en Ukraine, qui a remis en exergue la menace sur la sécurité d’approvisionnement énergétique ? Cela devrait être une question centrale. Une question discutée et débattue publiquement, pour laquelle différentes approches ou options doivent être mis sur la table. Peser les pours et les contres, et pouvoir trancher démocratiquement et collectivement.
Or, et vous me voyez arriver : il n’en est rien… ! Aujourd’hui, nous ne savons pas quand ce débat aura lieu et s’il va réellement avoir lieu. Pire, dans le projet de loi que nous examinons actuellement, le gouvernement a intégré de nouveaux objectifs de programmation énergétiques et des objectifs quantitatifs de réacteurs nucléaires, sans qu’on sache par ailleurs réellement sur quelle technologie nous allons-nous appuyer, mais ça c’est un autre sujet.
Cette loi préempte donc tout le débat sur notre avenir énergétique ! Une relance du nucléaire est de fait actée, communication présidentielle et ministérielle à l’appui, sans jamais avoir posé les options sur la table et faisant fi du fait, qu’en 40 ans, la France n’a résolu aucune des problématiques liées au nucléaire : déchets, dangerosité, ou encore faillite technique et industrielle de la filière nucléaire…
Et le principal argument qu’invoque le gouvernement pour cette relance, est le combat contre le réchauffement climatique. Or toute nouvelle centrale mettra au bas mot 15 à 20 ans à voir le jour alors que nos échéances pour inverser la courbe de nos émissions de gaz à effet de serre c’est 2030, soit dans 7 ans. Dans toutes les prospectives énergétiques, même les plus nucléarisés, la production nucléaire n’augmente pas dans notre mix électrique, au contraire, elle baisse. Le nucléaire ne fera pas reculer, ni à court terme ni au long terme, notre dépendance aux énergies fossiles. Donc le nucléaire, une solution pour le climat… je ne vois pas !
Mais revenons-en à l’inquiétude majeure, après des heures de débat sur ce texte en commission…
Outre le fait que ce texte préempte donc le débat démocratique, en actant de fait une relance du nucléaire, il passe surtout à côté d’un élément majeur : la vulnérabilité des installations nucléaires face à la réalité du réchauffement climatique.
En effet, certains projets de nouvelles centrales sont prévus en zone inondables. Une centrale nucléaire sous l’eau ou sur une île ? On peut interroger aussi bien le sens, que la robustesse d’un tel projet. Sans parler, des rejets d’eau de plus en plus chauds dans nos milieux aquatiques et ses effets dévastateurs sur la faune et la flore. Mais plus inquiétant encore, le partage de cette ressource essentielle qu’est l’eau. Car oui, il nous faut de l’eau pour faire tourner les turbines des centrales, des nouveaux réacteurs EPR : réacteur à EAU pressurisé. Quand on creuse un peu, on découvre que ce sont 26 milliards de m3 d’eau qui sont nécessaires chaque année pour faire tourner le parc nucléaire actuel. Certes, une partie est restituée, mais reste qu’une autre est consommé. Puis en période de sécheresse de plus en plus accrue et donc de raréfaction de la ressource en eau, comment vont fonctionner les centrales ? Et dans 15 à 20 ans, le réchauffement climatique, déjà à l’œuvre, aura encore et encore progressé. D’où mon inquiétude sincère : à l’avenir avec un tel projet de nouvelles centrales, nous faudra-t-il choisir entre boire ou produire de l’électricité ?
Avec mon groupe, nous avons donc déposé de nombreux amendements au texte dans ce sens, pour prendre en compte la réalité du réchauffement climatique dans toutes les procédures liées à l’industrie nucléaire. Aucune n’a été retenue. Pire, en évoquant les risques sismiques (un séisme a entrainé l’arrêt de la centrale de Cruas notamment) un député Renaissance m’a rétorqué que ce que je disais était « lunaire », « autant prévoir qu’une météorite allait s’abattre sur Flamanville ».
On peut donc être plus qu’inquiet que ces préoccupations légitimes et les faits réels soient balayés d’un revers de la main, en nous expliquant : « n’agitez pas les peurs, tout est sous contrôle ». Quand le Président Macron nous disait il y a quelques mois « qui aurait pu prédire le réchauffement climatique ? » permettez-nous d’en douter fortement.
Et puis, il y a notre système de sûreté nucléaire…car dans le pays le plus nucléarisé du monde, ce sujet doit être pris particulièrement au sérieux. Pour reprendre les termes de la rapporteure du texte Maud Bregeon « on ne parle pas d’usines pour fabriquer du chocolat ». Oui le nucléaire est dangereux, sa matière radioactive en fait un sujet d’inquiétude légitime. Et oui il est essentiel d’avoir, si on fait le choix de s’engager dans cette énergie, un système de sûreté plus qu’opérationnel ! Or là encore, prenant tout le monde de court, le gouvernement a présenté deux amendements au texte pour ruiner notre système de sûreté. Après la débâcle de Tchernobyl (la France était le seul pays à nier la réalité les effets de l’accident nucléaire sur son territoire), un système dual s’est construit avec d’un côté la police de la sûreté exercée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’autre côté l’expertise exercée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Un système efficace et robuste, reconnu internationalement et jamais remis en cause. Pourquoi est-ce si essentiel de séparer les deux ? Parce que l’IRSN effectue un travail sérieux de recherche et d’expertise sur le long terme et n’est pas soumise à la pression des décisions et leurs conséquences. C’est avec cette expertise libre et transparente que l’ASN peut ensuite décider si oui ou non, il faut par exemple mettre à l’arrêt un réacteur ou encore valider la mise en route d’un nouveau réacteur. Pourquoi mettre parterre un système qui marche, dans la précipitation ? J’avoue que nous n’avons pas compris.
La sûreté nucléaire est un sujet essentiel. Que l’on soit pour ou contre l’énergie atomique, l’intérêt est le même : nous préserver le plus possible d’un accident ou d’une catastrophe. Et pour cela il faut un système performant. C’est dans ce sens que la loi de 2006 sur la transparence et à la sécurité en matière nucléaire avait été voté à l’unanimité. Mardi soir, notre système de sûreté a donc été miné par le gouvernement, incapable de nous en expliquer les motivations profondes avec… les Républicains et le Rassemblement National. Oui vous avez bien lu, le Rassemblement National. Le même qui propose d’installer des récupérateurs d’eau de pluie pour alimenter nos centrales… Le même qui propose de construire 20 nouvelles centrales d’ici 2036 (alors qu’aucun industriel ne juge cela possible – sans parler du souhaitable). Le même encore qui nie la réalité du réchauffement climatique.
Alors oui, ce qu’il se passe sur ce texte est très loin de relever de simples aspects procéduraux ou techniques. Ce qu’il se passe, c’est un passage en force pour continuer de développer frénétiquement une technologie dangereuse, sans aucun garde-fou, à l’encontre de nos règles démocratiques, et avec l’extrême droite. Moi je le dis, je suis plus qu’inquiète de la tournure des débats et surtout de la manière dont sont construites nos orientations politiques dans notre pays, où la raison semble avoir été définitivement écartée….